L’exploitation 2011 du LHC vient tout juste de commencer et elle s’apprête à nous apporter une moisson de nouveaux résultats de physique. Si 2010 a été une année d’apprentissage, où ont alterné périodes d’exploitation et périodes de développement de la machine, 2011 sera pleinement consacrée à la physique. L’objectif est de mettre en place dès que possible de bonnes conditions d’exploitation pour pouvoir ensuite assurer une exploitation fiable jusqu’à la fin de l’année. L’énergie de faisceau restera à 3,5 TeV en 2011, mais l’on fera tout pour augmenter la luminosité d’au moins un facteur trois par rapport à la valeur atteinte en 2010. Le moment est propice, je trouve, pour vous proposer un article sur la luminosité, comme je vous l’avais promis.
La luminosité est une mesure du nombre de collisions qui se produisent dans un accélérateur de particules ; on me demande souvent pourquoi nous ne parlons pas alors tout simplement du taux de collisions. C’est une très bonne question. J’y répondrais en disant que la luminosité n’est pas à proprement parler le taux de collisions ; elle mesure en fait le nombre de particules qu’il est possible de concentrer dans un espace donné, à un moment donné. Cela ne signifie pas que ces particules entreront toutes en collision, mais plus nous pourrons en concentrer dans un espace donné, plus il y aura de chances qu’elles entrent en collision.
La meilleure façon d’aborder cette question est d’expliquer ce que les physiciens appellent « section efficace ». D’ordinaire, une section, ou section transversale, est une mesure de la taille d’un objet. Par exemple, la porte d’une grange présente une plus grande section transversale – elle couvre une plus grande surface – qu’une chatière. En physique des particules, la section efficace est une mesure de la probabilité qu’un événement se produise, et l’unité de mesure est le barn. Un barn est en fait une énorme section transversale et la plupart des processus ont des sections transversales mesurées en minuscules fractions de barn.
Beaucoup de choses se passent lors d’une collision de protons dans le LHC : les protons peuvent simplement rebondir les uns sur les autres ou bien se percuter plus violement en produisant tout un tas de nouvelles particules. Chacun de ces processus a sa propre section efficace. La section efficace pour la production d’un boson de Higgs, par exemple, est très petite, de l’ordre de quelques nanobarns (quelques milliardièmes de barn), ce qui signifie que des bosons de Higgs (si cette particule existe) se produiront très rarement.
Plus on obtiendra de collisions, plus on aura de chances qu’un événement aussi rare se produise, et c’est la raison pour laquelle les physiciens des particules attachent autant d’importance à la luminosité. Le principe est un peu le suivant : lorsqu’on multiplie la luminosité du faisceau par la section efficace d’un processus donné, par exemple la production de bosons de Higgs, on obtient le taux auquel on peut s’attendre à ce que ce processus se produise. Lorsqu’on multiplie la luminosité par la somme des sections efficaces de tous les processus possibles, on obtient le nombre total de collisions.
Pour vous aider à comprendre les différentes façons dont la luminosité contribue au taux de collisions, imaginez deux billes lancées à chaque extrémité d’un couloir. Si vous placez une seule personne de chaque côté du couloir, les chances pour que les billes entrent en collision seront faibles ; la luminosité sera donc relativement faible elle aussi. Augmentez le nombre de personnes de chaque côté et la luminosité augmentera. De la même façon, si vous augmentez la section efficace en faisant rouler des ballons le long du couloir, la luminosité sera la même, mais comme la section transversale d’un ballon est supérieure à celle d’une bille, le nombre de collisions augmentera. L’analogie n’est pas parfaite, mais j’espère que vous avez saisi l’idée.
La luminosité nominale du LHC est de 1034 cm2/s. C’est beaucoup. S’il est impossible de connaître le nombre exact de collisions que cela représente, on peut dire que cela correspond à environ 600 millions de collisions par seconde en moyenne. Au terme de l’exploitation du LHC en 2010, la luminosité était d’environ 2×1032 /cm2/s, soit quelques millions de collisions de protons par seconde.
L’autre manière d’utiliser la luminosité est de l’accumuler, ou de l’ « intégrer ». Cela vous permet de calculer le nombre total de collisions qui se sont produites. Par exemple, la luminosité intégrée enregistrée en 2010 par les expériences ATLAS et CMS était de 45 pb-1, ce qui équivaut à plus de 3000 milliards de collisions. Et qu’en est-il du boson de Higgs ? Avec la luminosité de crête que le LHC a atteinte l’année dernière, nous pouvions nous attendre à ce que des bosons de Higgs se soient produits au rythme d’une poignée par jour, ce qui n’est pas suffisant pour détecter un signal s’écartant de la physique connue et bien comprise. Pour pouvoir revendiquer une découverte, les physiciens doivent observer un écart statistiquement significatif par rapport à ce qu’ils s’attendent à observer au-delà de la physique connue et ils mesurent le degré de signification à partir d’une grandeur appelée « écart type », ou sigma en abrégé. Mais cela fera l’objet d’un autre article…
James Gillies