Quand le Grand Collisionneur de Hadrons (LHC) cessera son opération mercredi matin pour procéder à la maintenance annuelle, des centaines de personnes lâcheront un soupir de soulagement. Il faut des dizaines de personnes sur appel en permanence pour assurer la bonne marche de chaque expérience et de l’accélérateur, sans compter toutes les personnes de garde opérant les salles de contrôles 24 heures sur 24.
Mais être de garde, c’est l’occasion idéale pour rencontrer de nouvelles personnes qui travaillent sur des tâches différentes, et surtout celles et ceux qui ne viennent qu’occasionnellement au CERN. Les collaborations ATLAS et CMS comptent chacune plus de 3000 physiciens et physiciennes. ALICE a un peu plus de mille personnes et LHCb, 700. Avec autant de monde, difficile de connaître ses collaborateurs. Pour ATLAS par exemple, la plupart travaillent à l’un des 173 instituts membres, répartis dans 38 pays différents.
Nous sommes tous bénévoles pour ces tours de garde. Ces jours-ci l’opération d’ATLAS nécessite 13 personnes. Les expériences tournent sans arrêt, 7 jours semaine en période d’accumulation de données, soit de mars à décembre.
Même si cela se rajoute à nos autres tâches, comme on ne prend que 12-15 gardes par années, ce n’est rien comparé aux experts et expertes qui sont sur appel. Les gens viennent souvent de leur institut pour contribuer à la bonne marche du détecteur, mais aussi pour assister à des réunions ou discuter en personnes avec d’autres membres de la collaboration avant de rentrer chez eux.
Il y a dix jours, je me suis portée volontaire pour le weekend, juste pour m’assurer de faire ma part. Mais en fait, ces tours de garde dans la salle de contrôle sont super agréables. Cela me donne la chance de participer directement à la prise des données, ce qui ne fait pas partie de mes tâches habituelles. On peut alors apprécier à sa juste valeur tous les efforts nécessaires au maintien d’une haute efficacité dans la prise de données.
Lorsqu’il y a plein à faire, le temps s’envole. Mais le premier soir, c’était une journée extrêmement calme. Très peu à faire puisque le LHC avait un problème après l’autre, les empêchant de nous fournir des données. Même scénario le deuxième soir: ils ont à peine maintenu les faisceaux en collision pendant une vingtaine de minutes en huit heures! Heureusement, le dimanche soir, ça baignait dans l’huile et on a pu accumuler plein de données.
Etant cheffe d’équipe, J’ai le devoir et plaisir de parler à tout le monde dans la salle de contrôle pour assurer une bonne communication. Il y avait deux femmes de l’ex-Yougoslavie, un grec, une danoise, deux italien-ne, un indien, un portugais, une belge, un américain, un polonais et deux canadien-ne. Donc six femmes sur une équipe de 13 personnes.
Une prenait sa première garde et gérait son stress en étant super consciencieuse. On ne sait jamais à quoi s’attendre. Chaque problème est le plus souvent unique et on doit utiliser son jugement. Et vite, car chaque seconde compte et tout doit être fait pour minimiser les pertes de données. Heureusement, il y a plusieurs experts sur appel pour chaque système. Ce sont les véritables héros et héroïnes en période d’accumulation des données, toujours disponibles pour répondre aux questions les plus obscures à toute heure du jour ou de la nuit.
Durant un moment particulièrement calme, je me suis joins à deux autres femmes et on a échangé sur nos expériences dans un domaine encore largement dominé par les hommes. Nous fument vite rejointes par les autres. Nos histoires différaient grandement, suivant notre âge, nationalité et lieu des études. La conversation fut animée, au milieu des consoles et des écrans, et malgré les nombreuses interruptions pour répondre aux alarmes sonores ou visuelles qui ponctuent les gardes.
La soirée a continué dans un bel esprit d’équipe et la salle de contrôle a vite pris un visage beaucoup plus humain.
C’était de loin la garde la plus agréable de l’année grâce à la présence de toutes ces femmes et à la diversité de l’équipe. Ça m’a un peu rappelé la journée du 8 mars 2010 lorsque toutes les salles de contrôles du LHC, expériences et accélérateur, étaient toutes opérées par des femmes pour souligner la journée internationale des femmes et montrer le grand nombre de physiciennes travaillant sur les expériences du LHC.
Très bientôt, des équipes complètement différentes seront à pied d’œuvre, descendant dans les tunnels du LHC et ouvrant les détecteurs pour tenter de réparer tout ce qui a failli durant l’année. Leur course à la montre est entamée pour s’assurer que tout sera prêt à temps pour une autre année réussie en 2012.
Pauline Gagnon
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La moitié de l’équipe de garde dans la salle de contrôle d’ATLAS: de gauche à droite: (assises) Maria Emilie Dano Hoffmann, et Serena Psoroulas, (debout) Irena Nikolic, Judita Mamuzic, Martine Bosman et Pauline Gagnon.