Il y a plusieurs façons de tester la validité du modèle théorique actuel décrivant toute la physique des particules, celui qu’on appelle le Modèle Standard. Aujourd’hui, l’expérience LHCb, une des quatre grandes expériences opérant au Grand Collisionneur de Hadrons ou LHC at CERN, a communiqué la mesure la plus précise à ce jour à la conférence de Moriond à La Thuile en Italie sur un phénomène particulièrement rare.
Le groupe a dû trier une dizaine de milliards d’évènements afin d’en extraire les quelques uns qui pourraient contenir des mésons Bs – des particules composées d’un quark b et d’un antiquark s – qui se seraient désintégrés en deux muons.
Les mésons Bs sont des particules très lourdes, ce qui les rend instables et sujettes à se « briser » de différentes façons, tout comme on peut faire la monnaie pour un billet de banque de plusieurs manières. Chaque façon est appelée un « canal de désintégration ». Un canal peut se produire souvent tandis que d’autres sont plutôt rares. Le rapport d’embranchement d’un canal exprime simplement à quelle fréquence il se produit.
Dans le cas des mésons Bs, le Modèle Standard prédit que seulement trois mésons sur un milliard devraient de désintégrer en deux muons, soit un rapport d’embranchement de 3 x 10-9.
LHCb a trouvé quelques évènements potentiels de mésons Bs se brisant en deux muons, y compris celui reproduit ci-dessous. Il y en a encore trop peu pour pouvoir mesurer ce rapport d’embranchement mais le groupe a tout de même établi la limite la plus stricte sur sa valeur, soit moins de 4.5 x 10-9.
Ceci signifie que LHCb met la pression sur le Modèle Standard en le soumettant à un test aussi strict là même où plusieurs personnes s’attendaient à voir les premières failles du modèle. Mais en fait, aucune déviation par rapport aux prédictions du Modèle Standard n’a encore été trouvée.
Evènement capté par le détecteur LHCb montrant un candidat potentiel d’un méson Bs se désintégrant en une paire de muons. Les muons (représentés par les traces en rose) sont des particules qui traversent toutes les couches du détecteur, laissant un signal dans la dernière couche montrée à l’extrême droite de la figure. En bas, à gauche, on voit une vue agrandie du vertex initial (le point en noir), là où a eu lieu la collisions de protons dans le LHC. Les deux muons émergent plus loin puisque le méson Bs parcourt une certaine distance avant de se désintégrer.
Si on arrive à détecter la moindre déviation par rapport aux prédictions théoriques actuelles, on saura que le Modèle Standard n’est en fait que la pointe de l’iceberg. Plusieurs théoriciennes et théoriciens soupçonnent l’existence d’une théorie plus complexe allant au-delà du Modèle Standard mais on n’a toujours pas réussi à trouver une déviation qui servirait de point d’entrée.
L’an dernier, LHCb avait déjà tenté de révéler une faille possible du modèle. Aujourd’hui, la collaboration a annoncé des résultats encore plus précis portant sur la violation de symétrie de charge et parité (violation de CP) en utilisant des mésons Bs.
La violation de CP permet de quantifier pourquoi plus de matière que d’antimatière a subsisté lorsque l’univers s’est refroidit après le Big Bang, laissant un monde dominé par la matière. Ceci est particulièrement intriguant puisqu’en laboratoire, on observe bien une toute petite préférence pour la création de matière par rapport à l’antimatière mais bien trop faible pour expliquer pourquoi on ne voit pratiquement que de la matière autour de nous.
Malgré la précision accrue révélée aujourd’hui dans la mesure d’un paramètre appelé Φs, que le Modèle Standard prédit être très petit, LHCb ne voit toujours pas de déviation et tombe pratiquement pile sur la valeur prédite.
Les zones en rouge et vert représentent les résultats présentés par D0 et CDF, deux expériences du Tevatron près de Chicago. En bleu, on voit le résultat de LHCb d’août 2011 alors qu’une ambiguïté dans le signe de du paramètre ∆Γs laissait deux zones possibles. Cette ambiguïté est maintenant résolue et la seule zone figure en jaune, en très bon accord avec la valeur prédite par la théorie, montrée par le point noir.
Cette précision accrue permettra de limiter les possibilités pour les nouveaux modèles, ce qui facilitera l’élimination des fausses pistes et éventuellement permettra de s’enligner sur la bonne solution parmi tous les modèles proposés.
Pauline Gagnon
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