Le BEAUJOLAIS NOUVEAU est arrivé ! Le moment ne saurait être mieux choisi pour partager cette anecdote…
Au Centre d’études nucléaires de Bordeaux Gradignan (CENBG), les chercheurs tentent de comprendre ce qui nous constitue et nous entoure : le noyau atomique, l’Univers… Pourtant, ils interviennent aussi en tant qu’experts pour authentifier des grands vins ! Comment ce glissement de la recherche fondamentale à une application aussi concrète s’est-il produit ? Philippe Hubert, chercheur au CENBG, nous raconte…
« C’était en 2000, nous étions spécialisés dans la mesure de très faibles niveaux de radioactivité pour la recherche fondamentale. Le service de la répression des fraudes de Bordeaux possédait un détecteur semblable aux nôtres. Je m’y étais donc rendu afin d’en découvrir l’utilisation. Au cours de la conversation avec le directeur, nous nous demandions alors si des mesures de radioactivité dans un vin ne permettraient pas de le dater et de l’authentifier. Ainsi, j’entrepris d’effectuer des mesures pour connaître dans un premier temps quel type de radioactivité pouvait exister dans le vin. Nous ne savions pas du tout ce que nous y trouverions… Après trois mesures sur des millésimes différents, nous constatâmes qu’un noyau radioactif apparaissait et que sa teneur variait en fonction de l’année : le césium 137. Issu des essais nucléaires effectués dans les années 50-70 et de Tchernobyl, le césium 137 s’est déposé sur les grains de raisin et s’est retrouvé dans le vin. Étant donné que sa période de (demi) vie est de 30 ans, il ne peut exister dans la nature, sauf par suite des activités humaines.

Courbe de référence, établie par le CENBG, montrant l’évolution du taux de césium 137 dans le vin de 1950 à nos jours. ©CENBG
Nous venions ainsi de découvrir une méthode permettant de dater et d’authentifier le vin sans avoir besoin d’en ouvrir les bouteilles. L’intérêt s’est révélé important pour les bouteilles anciennes des grands crus « millésimés » : toute bouteille antérieure à 1950 qui contient du césium 137 est nécessairement fausse !

Bouteille de vin sur un détecteur de très basses radioactivités du CENBG. ©CENBG/O. Got
Notre première application porta sur un lot de bouteilles millésimées 1900 mises en vente l’année 2000. Il paraissait impossible d’avoir autant de bouteilles de cette période sur le marché. L’affaire est passée devant le juge qui se demandait comment prouver l’authenticité de ces bouteilles. On nous a alors demandé de mesurer le niveau de césium 137 d’une de ces bouteilles. Il n’a pas fallu plus de 10 minutes pour se rendre compte qu’elle était fausse : nous avons vu grimper le pic de césium sous nos yeux.
Et pour la petite histoire :
Il y a 3 ans, j’ai été contacté par un grand collectionneur de vin, très intéressé par une bouteille Yquem 1811 mise en vente aux enchères. Considéré comme unique, ce vin l’intéressait beaucoup car en 1811 une comète était passée et le vin de cette année là est, paraît-il, exceptionnel. En plus du millésime 1811, un coffret de trois « Château Yquem » 1800, 1900 et 2000 était proposé.
En regardant les photos des bouteilles, je me suis dit : Ce n’est pas possible, la forme de ces bouteilles n’existait pas encore en 1800 et 1811, il est donc impossible qu’il s’agisse d’authentiques Yquem 1800 et 1811 ! Comme il était trop tard pour annuler la vente, le commissaire priseur a mis les bouteilles aux enchères sous réserve d’une authentification par notre laboratoire. Les deux lots ont été vendus : l’Yquem 1811 à 40 000€, et le coffret à 60 000€.
Mais après la vente, on s’est aperçu que l’acheteur n’était autre que le propriétaire-vendeur ! La peur de l’expertise l’a conduit à racheter ses propres bouteilles. Inutile de préciser que la vente de ces bouteilles frauduleuses a finalement été annulée. Comme quoi, ce n’est plus la peine de faire des mesures, il suffit de dire qu’on va faire une expertise ! »
— anecdote fournie par le Centre d’études nucléaires de Bordeaux Gradignan (CENBG), unité mixte de recherche du CNRS/IN2P3 et de l’Université Bordeaux 1, dans le cadre des 40 ans de l’IN2P3.
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