Gluinos et Higgsinos sont quelques-unes des nouvelles particules jamais observées mais que l’on pourrait bien découvrir avec le Grand Collisionneur de Hadrons (LHC) si une théorie appelée supersymétrie ou SUSY s’avère exacte. Cette théorie est bâtie sur le Modèle Standard de la physique des particules.
Même avec le boson de Higgs, le Modèle Standard aura encore quelques lacunes. Par exemple, il n’arrive pas à expliquer la nature de la matière noire ou encore pourquoi les masses des particules fondamentales comme les électrons et les muons diffèrent autant. La théorie de supersymétrie est l’une des plus populaires et prometteuses pour dépasser le Modèle Standard mais encore faut-il qu’on arrive à la détecter.
Sa popularité tient à l’harmonie qu’elle apporte au monde des particules sub-atomiques. On y trouve deux grandes catégories de particules : les fermions et les bosons. Les fermions comprennent les quarks et les leptons, les briques de base pour construire toute la matière. Ces particules portent une valeur de « spin » de ½. Les porteurs de force appartiennent aux bosons, l’autre famille de particules. Ils ont des valeurs entières de spin, soit 0 ou 1.
La supersymétrie unifierait ces deux mondes en associant un boson à chaque fermion, et vice versa. Chaque quark serait accompagné de son « squark », le nom donné aux partenaires supersymétriques des quarks. Les squarks seraient des bosons au lieu de fermions et auraient un spin de 0 ou 1. La même chose irait pour les leptons. Pareillement, tous les bosons connus (gluons, Higgs, W, Z et photons) viendraient avec leur superpartenaire, des fermions de spin ½. En mélangeant ces fermions (tous sauf les gluinos), on obtient les charginos et neutralinos. Ces derniers pourraient constituer la fameuse matière noire.
Mais travailler avec SUSY n’est pas facile (et je ne pense à personne en particulier…) Même dans sa version minimale, le modèle dit MSSM (pour Minimal Supersymmetric Model) compte 105 paramètres libres. En d’autres mots, chacun de ces 105 paramètres (dont les masses de toutes ces particules) peut prendre n’importe laquelle valeur.
Un paramètre est un peu comme une dimension. Imaginez qu’on cherche à localiser un groupe de randonneuses perdues quelque part dans les Alpes. Il faudrait vérifier chaque point sur une carte tous les 10 mètres dans cet immense superficie. Donc même dans un espace bi-dimensionnel (i.e. avec seulement deux paramètres), il existe une quantité effroyable de lieux potentiels à vérifier. Alors essayez d’imaginer la situation avec 105 paramètres libres. Cela devient impossible.
On peut se faciliter la tâche en ajoutant des contraintes raisonnables, comme par exemple, limiter nos recherches à la terre ferme et éliminer tous les lacs. C’est précisément l’approche adoptée : limiter le périmètre de recherches pour ces particules supersymétriques en éliminant les endroits improbables.
Un sous-ensemble du modèle MSSM appelé CMSSM pour Constrained MSSM a été élaboré afin de ne laisser qu’une poignée de paramètres libres. On y est parvenu en fixant plus ou moins arbitrairement les valeurs de plusieurs paramètres, guidé par le goût personnel ou l’intuition. Un peu comme si on décidait d’abandonner les recherches dans toute la Suisse parce qu’on n’aime pas le fromage, sans tenir compte des habitudes ou intérêts des randonneuses égarées. Malgré ces origines douteuses, ce modèle demeure encore très utilisé.
Puisque tout modèle se doit de reproduire toutes les observations expérimentales faites à ce jour, un nouveau modèle dit phénoménologique (dénoté pMSSM) a été élaboré en utilisant des contraintes extraites de toutes sortes d’observations expérimentales effectuées au cours des dernières décennies. Avec ces contraintes expérimentales, le modèle pMSSM se réduit à 19 paramètres libres. On avance !
Trois théoricien-ne-s, Alex Arbey, Abdelhak Djouadi et Nazila Mahmoudi, ainsi qu’un expérimentateur Marco Battaglia, forment une des équipes qui ont poussé cette logique un cran plus haut. Ils incorporent l’information expérimentale récente pour voir quelles valeurs de ces 19 paramètres sont encore valides. Cette technique a le défaut d’exiger des quantités énormes de calculs pour tester chaque point de cet espace à 19 dimensions mais au final, on peut vraiment voir où les particules supersymétriques peuvent encore se cacher.
Cette méthode avait déjà révélé que les versions de SUSY très contraintes et spécifiques comme le CMSSM sont désormais confinées à très peu de valeurs de paramètres encore possibles. Les plus fortes contraintes sont imposées par l’absence de découverte par ATLAS et CMS de squarks de masses allant jusqu’à 1 ou 1.5 TeV, soit dix fois la masse du boson trouvé en juillet.
La même technique appliquée au pMSSM montre que ce modèle est désormais plus limité mais a encore beaucoup de valeurs de paramètres permises. Si en plus on ajoute les résultats d’astrophysique sur la matière noire ainsi que les mesures récentes du LHC dont celle de LHCb sur les désintégrations de Bs en deux muons, seules 10% des millions de possibilités initiales étudiées par ces chercheur-e-s subsistent. Les résultats sur le potentiel boson de Higgs, eux ne laissent que 2.5% des possibilités de leur scénario initial.
Grâce à cette technique qui entremêle résultats expérimentaux et connaissances théoriques, cette équipe de scientifiques a pu réduire un nombre quasi infini de possibilités à quelques pourcents, permettant ainsi de mieux cibler les recherches. Malgré tout, il reste encore plein d’endroits dans ce vaste espace multi-dimensionnel où une forme ou une autre de supersymétrie peut encore exister. On n’aura peut-être pas la chance de la découvrir cette année mais nos chances seront accrues lorsque le LHC reprendra du service à plus haute énergie après la longue période d’entretien et d’améliorations prévue pour 2013-2014.
Entre temps, SUSY est toujours en pleine santé et s’ébat peut-être dans un petit recoin de ce désormais plus restreint espace à 105 dimensions.
Pauline Gagnon
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