Gian Giudice est plutôt souriant et tranquille pour quelqu’un qui vient tout juste de démontrer que l’Univers est peut-être voué à disparaître. Cette découverte pour le moins renversante n’a pas fait perdre le sommeil à ce théoricien du CERN que j’ai rencontré hier. Lui et ses collègues ont démontré que si le Modèle Standard tient bien au-delà de ce que nous avons vu à ce jour, le champ de Higgs changera de valeur et toute la matière cessera d’exister sous sa forme actuelle.
Mais il n’y a rien à craindre : cela ne devrait pas se passer avant dix puissance cent années (10100), soit 1 suivi de cent zéros. Comme le dit Gian, inutile de ne pas payer ses impôts. Sachant que l’âge de l’Univers se chiffre à 13,77 milliards d’années, on a encore bien le temps, un milliard n’étant qu’un suivi de neuf zéros, rien en comparaison du temps estimé avant cette transition.
Ce que lui et ses collègues ont trouvé, c’est que nous vivons dans un Univers se situant juste à la limite. Leurs calculs ont établi que la stabilité de l’Univers dépend des valeurs spécifiques de différentes quantités comme les masses de particules fondamentales. En supposant que le boson découvert l’an dernier est bien le boson de Higgs ayant une masse de 126 GeV, et en incluant la valeur de la masse du quark top (environ 173 ± 1 GeV), ils ont déduit que l’Univers se trouve dans une région métastable. Cela signifie qu’éventuellement l’Univers passera par une sorte de « transition de phase ».
Le graphe de gauche, tiré de leur article, montre qu’il existe trois types de régions dépendant des valeurs de ces deux masses: en rouge, les zones d’instabilité où l’Univers ne pourrait exister ; en vert, les zones de stabilité éternelle où le champs de Higgs ne changera jamais de valeur, et enfin en jaune, une région métastable. Le graphe de droite montre que pour les valeurs de masse en question, on tombe en zone métastable où éventuellement la valeur du champ de Higgs changera, causant la disparition de tous les atomes.
Le champ de Higgs est une entité physique, tout comme le champ magnétique qui entoure un aimant. Le boson de Higgs quant à lui n’est qu’une excitation de ce champ, comme une vague est une excitation de la surface de l’océan.
Un changement de valeur du champ de Higgs s’apparentera à une transition de phase, comme lorsqu’un liquide se met à bouillir. Des bulles se forment, puis peu à peu le liquide s’évapore et disparaît. Puisque la valeur du champ de Higgs a un impact direct sur la masse des quarks et des électrons, elle détermine aussi la taille des atomes. Si cette valeur change suffisamment, tout l’équilibre des atomes sera menacé.
Ce qui étonne le plus Gian Giudice, c’est le fait que les valeurs de ces paramètres soient à la limite entre les zones de stabilité et de métastabilité. Pourquoi la Nature en a-t-elle décidé ainsi parmi toutes les valeurs possibles ? Se pourrait-il que toutes les valeurs soient permises et qu’on s’adonne simplement à vivre dans un Univers ayant un ensemble particulier de valeurs ? Ceci signifierait qu’il existe en parallèle une multitude d’autres univers, chacun ayant son propre ensemble de paramètres. Certains seraient donc instables et n’auraient pu se former, tandis que d’autres passeraient par des transitions de phase rapides. L’Univers ferait alors partie d’un multivers.
Cela donne matière à réflexion. Le plus simple serait encore si le Grand collisionneur de hadrons ou LHC conduisait à de nouvelles découvertes, révélant ainsi que le Modèle Standard n’est pas l’ultime théorie. Cela impliquerait du coup que tous ces calculs, qui assument l’infaillibilité du Modèle Standard, ne seraient bons que pour la poubelle, me lance en riant Gian Giudice.
Pauline Gagnon
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Tags: metastability, Universe