Lundi matin, aux Rencontres de Moriond , la présentation la plus attendue dans la session sur la matière noire ne contenait malheureusement aucun résultat. On espérait que la collaboration AMS révèle ses premières mesures mais Bruna Bertucci n’a pu que présenter ses excuses puisque ces résultats n’avaient pu être approuvés à temps pour la conférence.
AMS (Alpha Magnetic Spectrometer) est un détecteur de particules installé à bord de la Station Spatiale Internationale, d’où il accumule des données depuis mai 2011. La communauté scientifique attend maintenant avec impatience ses résultats qui pourraient jeter un peu de lumière sur la nature de 24% du contenu de l’univers dont on ignore tout, et révéler quelles sont les mystérieuses particules qui forment la matière noire.
AMS étudie le flux de positons dans l’espace comparé à celui des électrons. Les positons sont l’antimatière des électrons. Tout cet intérêt provient du fait qu’un autre groupe, la collaboration PAMELA a observé un flux de positons plus élevé que prévu par rapport au flux d’électrons à haute énergie. Comme nous vivons dans un monde composé de matière, il est relativement aisé d’imaginer diverses sources d’électrons. Mais d’où vient cette antimatière ? Une possible hypothèse serait que des particules de matière noire s’annihilent dans l’espace en créant des paires d’électrons et de positons, fournissant ainsi une source de positons.
Le flux de positon par rapport à celui des électrons tel que mesuré par différents groupes. L’expérience AMS devrait pouvoir clarifier la situation à haute énergie, là où le flux semble augmenter.
Un autre groupe, qui opère une expérience semblable à bord d’un satellite, la collaboration FERMI-LAT, a confirmé en partie cette observation mais seul AMS à la capacité de vraiment apporter une réponse définitive. Il faudra cependant encore un peu de patience avant de voir leurs résultats.
Entre temps, comme l’a expliqué Gabrijela Zaharijas, la collaboration FERMI a une autre tâche sur les bras depuis qu’un théoricien, Christoph Weniger, analysant des données recueillies par FERMI, a détecté un signal sous forme de d’une raie spectrale étroite à 130 GeV – des rayons gamma ayant une énergie bien spécifique – et émanant du centre de la galaxie. Son approche consistait à identifier les zones où la matière noire était la plus concentrée et où il y avait le moins de bruit de fond, i.e. peu d’autres sources connues de rayons gamma. Il a identifié cinq zones répondant à ces critères et pour trois d’entre elles, trouvé plus d’évènements que ce qu’il attendait du bruit de fond. Et ce signal était très fort, dépassant par quatre fois les fluctuations statistiques possibles du bruit de fond (4.4 sigma) et créant grand bruit.
La ligne spectrale trouvée par Christoph Weniger à 130 GeV sous la forme d’un excès d’évènements par rapport au bruit de fond représenté par la courbe en vert.
Depuis, la collaboration FERMI a amélioré sa calibration et la modélisation de la dispersion du bruit de fond, ce qui aurait dû renforcir le signal. Mais il n’en fut rien : au contraire, le signal a plutôt diminué, ce qui les fait douter qu’il s’agisse d’un véritable effet. En fait, cette hypothèse est soutenue par l’analyse des rayons gammas provenant d’une source bien connue de bruit de fond – les rayons gamma produits dans la couche atmosphérique de la Terre sous l’impact de rayons cosmiques. Un signal similaire mais moins fort est apparu à 130 GeV, confirmant la piste d’un effet venant des instruments de mesure sans toutefois tout expliquer. Le tout est donc sérieusement à l’étude.
On devrait en avoir le cœur net d’ici peu sur ce signal puisque le nouveau télescope HESS-2 de Namibie commencera à observer le centre galactique dès ce mois-ci. Avec seulement 50 heures en opération dans de bonnes conditions, le groupe aura suffisamment de données pour confirmer ou réfuter ce signal à 130 GeV.
Aurons-nous bientôt quelques réponses sur la nature de la matière noire ? Cela vaut bien la peine de patienter un peu pour connaître la suite.
Pauline Gagnon
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