Dans un article publié dans la revue Nature, l’expérience CLOUD du CERN révèle une avancée majeure vers la résolution d’une énigme de longue date en science du climat: comment les particules d’aérosols se forment-elles dans l’atmosphère? On sait que toutes les gouttelettes au sein des nuages se forment à partir d’aérosols, les minuscules particules solides ou liquides en suspension dans l’air. Mais comment ces aérosols se forment, leur “nucléation” à partir de traces de gaz dans l’atmosphère, et quels gaz contribuaient au processus, demeuraient un mystère.
Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les particules d’aérosols et leur influence sur les nuages constituent l’inconnu majeur dans l’évaluation du changement climatique d’origine humaine. Comprendre comment les particules d’aérosols se forment dans l’atmosphère est donc essentiel. En plus grande concentration, les aérosols contribuent au refroidissement de la planète car ils réfléchissent davantage les rayons solaires et forment de plus petites mais plus nombreuses gouttelettes nuageuses. Tout cela fait des nuages plus réfléchissants et prolonge leur durée de vie. Ces processus étaient mal compris et limitaient actuellement la précision des projections climatiques pour le 21e siècle.
Grâce à l’expertise du CERN en science des matériaux, systèmes de gaz et technologie de l’ultra-vide, l’équipe de CLOUD a pu construire une chambre d’une propreté sans précédent. Cela leur a permis d’introduire des quantités infimes de diverses vapeurs atmosphériques dans une atmosphère d’abord «pure» et dans des conditions soigneusement contrôlées, et commencer ainsi à percer le mystère.
Les chercheur-e-s ont fait deux découvertes clés. Tout d’abord, que des concentrations infimes d’amines peuvent se combiner avec de l’acide sulfurique pour former des particules d’aérosols, et ce à des taux similaires aux observations atmosphériques. Deuxièmement, en utilisant un faisceau de pions du Synchrotron à protons du CERN, ils et elles ont démontré que le rayonnement cosmique a une influence négligeable sur les taux de formation de ces particules d’aérosols.
Le graphe détaillé ci-dessus montre le taux de nucléation (c’est-à-dire la vitesse à laquelle les particules d’aérosols se forment) en fonction de la concentration en acide sulfurique. Les petits carrés de couleur en arrière-plan donnent les valeurs qu’on retrouve dans l’atmosphère. Les mesures de CLOUD (grands symboles) ont été obtenues en introduisant différentes vapeurs dans la chambre (courbe 1: seulement de l’acide sulfurique et de l’eau, courbe 2: avec ajout d’ammoniaque; courbes 3 à 5: avec ajout d’amines). Les lignes en pointillés et les bandes de couleur indiquent les taux de nucléation théoriques pour ammoniaque + acide sulfurique (bleu) et amine + acide sulfurique (rouge / orange), basés sur des calculs de chimie quantique. Seuls les amines reproduisent les taux de nucléation observés dans l’atmosphère, tandis que l’ammoniaque donne un taux mille fois trop petit.
Les amines sont des vapeurs atmosphériques étroitement liées à l’ammoniaque qui proviennent d’activités humaines telles que l’élevage mais aussi de sources naturelles. Les amines sont responsables des odeurs associées à la décomposition de matière organique contenant des protéines. Par exemple, l’odeur de poisson pourri est due à la triméthylamine.
Grâce à leur chambre ultra-propre unique, les scientifiques de CLOUD ont montré pour la toute première fois que des concentrations extrêmement faibles d’amines telles qu’on en trouve généralement dans l’atmosphère (à savoir quelques parties par billion en volume ou pptv) suffisent. Les amines peuvent alors se combiner avec de l’acide sulfurique et former des particules d’aérosols très stables à des taux similaires à ceux observés dans la basse atmosphère, comme l’indique le graphe ci-dessus.
Jasper Kirkby, porte-parole de l’expérience CLOUD accroupi à l’intérieur de la chambre unltra-propre utilisée pour ces travaux.
Ces mesures précises en laboratoire ont permis à l’équipe de CLOUD de comprendre de façon fondamentale le processus de nucléation au niveau moléculaire. Les scientifiques peuvent même reproduire leurs résultats expérimentaux en utilisant des calculs de chimie quantique de nucléation moléculaire.
C’est la première fois qu’une expérience a pu reproduire les taux de formation des particules atmosphériques en connaissant parfaitement les molécules participantes. Ainsi, les résultats de CLOUD représentent une avancée majeure dans notre compréhension de la nucléation atmosphérique.
Personne ne s’attendait à ce que le taux de formation des particules d’aérosol dans la basse atmosphère soit si sensible aux amines. Une grande partie des amines résultent de l’activité humaine, mais elles n’ont pas été considérées jusqu’ici par le GIEC dans leur évaluation du climat. L’expérience CLOUD a donc révélé un nouveau mécanisme important qui pourrait contribuer à un effet de refroidissement mais qui avait été négligé jusqu’à présent.
Par ailleurs, une technique appelée « lavage aux amines » est susceptible de devenir la technologie dominante pour capturer le dioxyde de carbone émis par les centrales électriques à combustibles fossiles. Par conséquent, les émissions d’amines pourraient augmenter à l’avenir et devront maintenant être prises en compte lors de l’évaluation de l’impact des activités humaines sur le climat passé et futur.
Pauline Gagnon
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Tags: CERN, changement climatique, CLOUD