Tandis que le complexe des accélérateurs du CERN était à l’arrêt en 2013, l’expérience ASACUSA en a profité pour soigneusement analyser les données prises en 2012 au Décélérateur d’antiprotons (AD). Ce travail minutieux leur a permis d’annoncer dans la revue Nature la toute première production d’un faisceau d’antihydrogène.
Dans les expériences de laboratoire comme celles du CERN, la matière et l’antimatière sont toujours créées en quantités égales. La théorie du Big Bang prévoit que des quantités égales de matière et d’antimatière existaient à l’origine de l’Univers. Cependant, de nos jours, il ne reste aucune trace de cette antimatière “primordiale”. Qu’est-il arrivé à toute l’antimatière qui se trouvait dans l’Univers ?
Pour répondre à cette question, le CERN a un vaste programme d’étude de l’antimatière en cours au AD. On veut vérifier si l’antimatière a les mêmes propriétés que la matière. Une des façons de procéder est de comparer des atomes d’antihydrogène avec des atomes d’hydrogène. On choisit l’hydrogène puisque c’est le plus simple de tous les atomes, avec seulement un électron orbitant autour d’un unique proton.
Les atomes d’antihydrogène sont la réplique des atomes d’hydrogène, mais avec un antiélectron – appelé positron – et un antiproton remplaçant l’électron et le proton des atomes normaux.
Toute matière émet de la lumière quand elle est excitée. C’est ce qui se passe quand on chauffe une pièce métallique. La lumière émise est comme la signature de chaque atome. Par exemple, l’hydrogène émet ou absorbe de la lumière d’une fréquence spécifique quand un électron saute d’un niveau d’énergie à un autre. Il existe aussi “une structure hyperfine ” correspondant aux interactions magnétiques entre le noyau et l’électron.
L’expérience ASACUSA a pour but de vérifier la structure hyperfine de l’antihydrogène. Ceci se fait en observant quelles fréquences les atomes d’antihydrogène peuvent absorber.
L’expérience ASACUSA au CERN (Photo: Yasunori Yamakazi )
Voici ce qu’ASACUSA a réussi: l’équipe a d’abord produit des atomes d’antihydrogène en ralentissant des antiprotons à très basse température. Puis on a mélangé ces antiprotons avec des positrons pour les combiner à l’aide d’un champ magnétique fort et non-uniforme. Ce champ est nécessaire pour éviter que les antiprotons et les positrons n’entre en contact avec de la matière. Cela causerait leur annihilation immédiate et empêcherait la formation d’atomes d’antihydrogène.
Puis il a fallu déplacer les atomes d’antihydrogène en dehors de ce champ pour pouvoir étudier leur structure hyperfine. Autrement, le fort champ magnétique masquerait les effets minuscules produits par l’interaction magnétique entre l’antiproton et le positron à l’origine de la structure hyperfine.
Mais comme les atomes sont neutres, ils ne peuvent pas être contrôlés par des champs électriques. Cependant, un atome d’antihydrogène ressemble à un minuscule aimant. Les scientifiques ont donc manipulé ces aimants microscopiques en utilisant un champ magnétique non-uniforme, et créé un faisceau d’atomes d’antihydrogène. Ce faisceau a ensuite été dirigé vers un détecteur situé après une cavité à micro-ondes et un aimant sextupole.
L’aimant sextupole focalise ou défocalise les atomes d’antihydrogène sur le détecteur, dépendamment de l’orientation de leurs minuscules aimants.
L’expérience ASACUSA. De gauche à droite : les aimants (en gris) utilisés pour produire les atomes d’antihydrogène, la cavité à micro-ondes (en vert) qui induit des transitions hyperfines, l’aimant sextupole de focalisation (en rouge et gris) et le détecteur à antihydrogène (en jaune). Crédit : Stefan Meyer Institute.
Le détecteur compte le nombre d’atomes d’antihydrogène qui l’atteignent après avoir traversé une cavité à micro-ondes. Cette cavité était éteinte en 2012, mais sera allumée à l’avenir. Les atomes d’antihydrogène absorberont alors seulement les photons micro-ondes ayant exactement l’énergie correspondant aux transitions de la structure hyperfine. L’absorption d’un photon changera la trajectoire de l’atome d’antihydrogène dans l’aimant sextupole et donc réduira le nombre d’atomes d’antihydrogène atteignant le détecteur.
En comptant combien d’atomes d’antihydrogène atteignent le détecteur lorsque la cavité à micro-ondes émettra des photons de fréquences spécifiques, les scientifiques détermineront quelles sont les fréquences de la structure hyperfine.
ASACUSA a maintenant la preuve que 80 atomes d’antihydrogène ont atteint le détecteur. La prochaine étape consistera à déterminer si moins d’antiatomes seront observés lorsque la cavité à micro-ondes sera allumée à la bonne fréquence.
Nous saurons alors si l’antihydrogène est exactement l’image inversée de l’hydrogène. Ceci révélera si l’antimatière diffère de la matière et pourrait expliquer pourquoi elle est complètement disparue de l’Univers.
Pauline Gagnon
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Tags: antimatière, Antiproton Decelerator, ASACUSA, CERN