L’histoire de cette ampoule contenant du tritium s’est déroulée au Cern de Genève et au Laboratoire corpusculaire de Clermont-Ferrand (LPC Clermont) au cours de l’année 1968. Un chercheur clermontois raconte.
La cible de tritium : sa naissance.
« Cette ampoule a été conçue par Jean Faïn, du Laboratoire corpusculaire de Clermont-Ferrand, pour contenir du tritium, dans le cadre d’une série d’expériences de diffusions élastiques cohérentes de protons sur différents noyaux légers. Le cahier des charges imposait que les noyaux de tritium choqués par les protons incidents traversent une faible quantité de matière avant d’être détectés par des compteurs silicium. Un mécanicien du Cern a fabriqué plusieurs ampoules, un travail d’orfèvre. Il fallait souder des feuilles d’acier inox de 100 µm et même de 35 µm à l’endroit le plus fin, enroulées en forme de cône, pour obtenir un objet rigide et parfaitement étanche, l’hydrogène étant le gaz qui diffuse le plus et donc s’échappe très facilement. Cet artisan, très habile, a réalisé cette prouesse, et c’est avec une fierté non dissimulée qu’il nous expliquait, les yeux brillants, cible en main, combien le pari était difficile. »
Sa carrière.
« Plusieurs exemplaires de cette cible furent réalisés, avant d’obtenir l’ampoule parfaite. Nous allons d’abord parler, justement, de celle qui fut utilisée, avec succès, dans l’expérience, puis de la précédente, dont la fin de vie fut… vraiment tragique.
L’ampoule était munie de petits ergots, fixation très similaire à celle d’une lampe à incandescence munie d’un culot à baïonnette. Tous les membres de l’équipe présents au Cern s’entrainèrent, sur le site expérimental, à la mise en place d’une cible (vide), la difficulté principale étant de ne pas l’écraser. Mais finalement, les opérateurs retenus furent Michel Querrou, responsable de l’expérience, et Louis Méritet, le doctorant.
Le jour J, en présence des services de sécurité du Cern, nos deux héros enfilèrent des scaphandres qui les faisaient ressembler à des cosmonautes. Louis était chargé de la mise en place de l’ampoule. L’opération dura plus longtemps que prévu, car les scaphandres ne facilitaient pas leurs mouvements et, de plus, les répétitions avaient été réalisées sans l’usage de gants. Nous attendions, inquiets, derrière l’épaisse porte de béton qui donnait accès à l’expérience. Lorsque la porte s’ouvrit, Michel Querrou apparut titubant, tout rouge : il n’y avait plus d’oxygène dans sa bouteille, mais Louis avait réussi ! Les prises de données achevées, la cible fut récupérée par le Cern et stockée en toute sécurité. »
Sa disparition tragique.
« Voici maintenant l’histoire de l’avant-dernière cible. Jean Faïn et Louis Méritet, les deux convoyeurs, constatèrent, une fois arrivés au voisinage du Cern, que le conteneur emballant l’ampoule contenait des traces de tritium : cette ampoule fuyait. Franchir la douane dans ces conditions était problématique. Après délibération, la sentence fut terrible : la condamnation à mort de la cible !
L’instrument retenu fut la guillotine, confectionnée avec les moyens du bord par Jean. C’est ainsi que dans des bois de la région de Ferney-Voltaire, une pierre, accrochée à une longue ficelle, elle-même suspendue à la branche d’un arbre, devait trancher définitivement la fameuse ampoule et libérer le tritium. Allongés sur le sol, à une distance respectable de ce montage, nos deux bourreaux procédèrent à leur sinistre besogne, une fois, deux fois… rien à faire, le mécanicien du Cern avait trop bien travaillé : l’ampoule était trop robuste ! En désespoir de cause, elle fut remise dans le conteneur et rapatriée à Clermont-Ferrand.
Il fut alors décidé de l’exécuter d’une nouvelle façon. Cette fois-ci, Jean Faïn eut recours à un autre membre du laboratoire, Michel Monnin, lequel possédait une carabine. C’est ainsi que nos deux cow-boys fusillèrent la cible aux environs du plateau de Lachamps, au pied du Puy de Dôme. L’histoire raconte que Michel avait déposé son arme sur la lunette arrière de sa voiture, c’était en mai 1968, et le laboratoire se situait alors avenue Carnot, là où manifestants et CRS échangeaient des amabilités… »
— anecdote fournie par le Laboratoire corpusculaire de Clermont-Ferrand (LPC Clermont), unité mixte de recherche du CNRS/IN2P3 et de l’Université Blaise Pascal, dans le cadre des 40 ans du CNRS/IN2P3.