Cette fois, c’est vrai. Le Grand Collisionneur de Hadrons (LHC) cessera pour deux ans de produire des collisions dès demain, 14 février à 6:00 du matin, après une brève extension de trois jours visant à fournir suffisamment de données pour les études d’ions lourds. En un rien de temps, à l’annonce de cette extension, des dizaines de personnes se sont portées volontaires pour opérer les salles de contrôle des expériences et des accélérateurs à la veille de cette longue pause.
J’étais parmi ces personnes, heureuse de pouvoir travailler une dernière fois dans la salle de contrôle d’ATLAS. L’ambiance y est toujours spéciale: c’est là qu’on prend part à la prise des données et par la même occasion, on y rencontre ou apprend à connaître nos collègues qui travaillent ailleurs qu’au CERN, souvent sur d’autres continents.
Alors nous voilà, neuf personnes venant d’autant de pays différents, chargées d’opérer le détecteur, en plus des expert-e-s qui vont et viennent tout au long de cette avant-dernière période de garde.
Stephanie Zimmermann, une des deux personnes en charge de l’opération du détecteur, admet qu’elle se serait réjouie s’il s’agissait d’une pause de quelques mois, mais deux années, ce sera long dit-elle. Cependant, Anna Sfyrla, une des expertes sur le système qui décide quels évènements conserver, est ravie de ne plus avoir à assister aux meetings quotidiens six jours sur sept. Par contre, tout le plaisir de la salle de contrôle va lui manquer.
Une autre personne qui a évidemment une opinion sur le sujet, c’est Kerstin Lantzsch. Comme elle vit pratiquement dans la salle de contrôle, on sait toujours où la trouver. Depuis sept mois, elle coordonne les opérations des pixels, le détecteur situé au plus près des faisceaux, et donc le plus vulnérable. Pratiquement chaque fois que le LHC amène de nouveaux faisceaux en collision, c’est-à-dire plusieurs fois par jour, elle vient à la salle de contrôle pour décider quand il est sécuritaire d’activer ce détecteur. Pas étonnant qu’elle ait hâte de retourner à une vie normale mais elle sait tout de même que l’action va lui manquer.
Giovanna Lehman, une des expertes du système central d’acquisition des données, partage cet avis. Elle doit pouvoir répondre à une variété de questions pointues à toutes heures du jour et de la nuit dès que ça accroche et que la personne de garde ne peut gérer. Elle aussi rêve déjà de nuits ininterrompues et se réjouie de travailler sur les améliorations prévues au système.
Et puis il y a les occasionnels de la salle de contrôle, ceux et celles qui comme moi ne viennent que pour prendre leurs quarts de travail. Des gens comme Aungshuman Zaman, étudiant à Stony Brook à New York et Nedaa Asbah, étudiante à l’université de Montréal. Les deux ont déjà pleins de projets : lui, s’impliquer dans les améliorations au détecteur de pixels, elle écrire sa thèse de maîtrise.
Cyril Bécot, étudiant à Orsay près de Paris, utilisera cette pause pour compléter sa thèse de doctorat. Puisqu’il travaille sur les désintégrations du boson de Higgs en deux photons, il a dû travailler sous haute tension durant les derniers six mois. Loin d’être triste, il est tout heureux d’avoir enfin le temps d’approfondir un peu plus son analyse au lieu de constamment courir contre la montre, étant donné la haute priorité de son sujet de recherche.
Même son de cloche chez Anna Lipniacka, professeure à Bergen en Norvège. Bien sur, elle est un peu triste mais tout comme Cyril, elle est bien heureuse d’avoir un peu plus de temps pour bien observer les données et améliorer ses méthodes d’analyse.
Quant à Mansoora Shamim, post-doc à l’université de l’Oregon, elle dit être modérément triste de voir partir les faisceaux pour les mêmes raisons. Elle est bien heureuse d’avoir un peu plus de temps pour se concentrer à sa recherche sur les trous noirs.
Et moi aussi, je suis triste bien qu’à long terme cela signifie de meilleures chances de faire de nouvelles découvertes. Entre temps, grâce à la dernière bordée de neige, le champagne est au frais afin qu’on puisse porter un toast au LHC à la fin de notre tour de garde.
Pauline Gagnon
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